mercredi 10 juillet 2013

Mercredi 10 juillet 2013 Bel anniversaire Franck

Cancale pour fêter ça ?
Une falaise
Une promenade
un phare
son bleu de mer
ses brumes d'été
son actuelle chaleur tropicale
ses moules au curry
le fraisier dit "de Plougastel"
et le champagne qui pétille

et en matière de curry, une histoire ?

C'était il y a longtemps. En Inde.
Balaram habitait Delhi. Il vivait dans un petit pavillon. 
Une barrière blanche autour, deux palmiers, trois fleurs à l'extérieur... un autel à l'intérieur, dédié à Ganesh. L'autel, et la reproduction dorée, arrondie et fleurie de la célèbre divinité enfantine à tête d'éléphant et unique défense, cet autel lui rappelait sa mère et cette habitude qu'elle lui avait donnée, chaque matin, de déposer, de sa main longue et fine, deux colonnes de petits gâteaux de riz ronds devant les bâtons d'encens. Ganesh était la divinité de la réussite scolaire, commerciale, et matérielle, celle aussi du changement.
A Delhi Balaram vivait heureux, tranquille, serein et rieur, surtout lorsqu'il lui arrivait d'entendre reliés ou pas, les noms de Lahore ou Bénarès. Ces fois-là, sur la peau caramel de son visage, ses yeux noirs sur fond blanc prenaient leur expression rieuse et sa bouche laissait échapper des hi hi hi des ho ho ho des ha ha ha silencieux.

Et pour cause.

Balaram n'avait pas toujours vécu à Delhi. Non il avait aussi vécu à Bénarès.
Bénarès ! Un appartement, un rideau de bois sculpté, un escalier, sa rue, les ruelles, l'animation colorée des saris, des turbans, les vaches immobiles, le Gange, les femmes aux allures hiératiques, qui lavaient leurs saris et les étalaient sur les marches des escaliers à l'attention des rayons du soleil et de la brise qui les rendait vagues, le fleuve, les hommes et les femme, riant en faisant leurs abblutions dans le fleuve, sur lequel, à la nuit, feuilles de lotus, couronnes de fleurs tressées, bougies posées dessus, allaient à leur gré, fragiles lucioles de nuit. 

La première année tout s'était bien passé.
La deuxième année tout se passa bien mais Balaram eut l'occasion de s'étonner. A propos d'un voisin qu'il avait. Et de son comportement. 
Un matin l'homme l'avait réveillé par la précipitation qu'il  avait mise en descendant les escaliers à toute vitesse. Intrigué, Balaram s'était rapidement posté derrière le rideau de bois brodé. L'homme avait plongé dans la foule, ce ne pouvait être que lui, il portait  son turban violet à nul autre pareil. Où allait-il besace vide à l'épaule ?

Cet homme était sans travail et pauvre. Quoique mendiant. Sa vie était fragile.
Quelques jours plus tard, il réapparut. Balaram reconnut son pas qui gravissait l'escalier à toute allure. Le lendemain Balaram croisa l'homme dans l'escalier. Il le salua et ne put s'empêcher de faire preuve de curiosité :  
"Vous portez un étonnant pansement voisin, que vous est-il arrivé, vous devez être bien gêné, avez-vous besoin de mon aide, n'habitez pas,voisin, je suis à votre disposition"
L'homme portait en effet, lui recouvrant la main et le bras quasi jusqu'au coude un énorme pansement au bras droit. L'homme fit un geste sec et nerveux? "Ce n'est rien voisin, ce n'est rien. D'ici un mois il n'y paraître rien" Il plongea l'autre main dans la besace et serrant la main de Balaram en guise d'adieu il lui glissa une pleine poignée de roupies. Et dès lors le mendiant se montra généreux, généreux généreux avec tous comme avec Balaram. Que s'était-il passé dans sa vie pour qu'il en fut ainsi jour après jour ?

Il y eut la seconde année, les pas dans l'escalier, la noyade dans la foule colorée, la réapparition quelques journées plus tard, le pansement arboré, la besace lourde et le même comportement généreux lorsque Balaram lui proposa son aide. Balaram fut même invité dans le meilleur restaurant de Bénarès. Il en sortit de plus en plus intrigué. Et de plus en plus insistant
"Voisin votre vie doit être bien difficile en ce moment laissez-moi vous aider, je vous en prie !" geste de la main, "Je vous en prie voisin" Geste de la main "laissez-moi insister !" la capitulation
"Suivez-moi Balaram, vous allez comprendre"
Et Balaram suivit son voisin. Monté l'escalier, une clef qui tourne, une porte qui s'ouvre, une table basse, des coussins de soie jaune, rose, grenat, quelques bâtons d'encens et tasses de thé au lotus plus tard Balaram sort de chez le voisin silencieusement hilare. Mais quel benêt ce voisin quel benêt, mais bien sûr que je n'en dirai rien à personne, bien sûr bien, mais sûr et certain que l'année prochaine....

Assis sur un coussin de soie rose fushia, cette fois dans son appartement, Balaram continue de se rappeler.

"Merci Balaram de me proposer votre aide, mais je suis dans l'impossibilité de la recevoir, je vous explique. Balaram, mon ami, sachez que je n'ai pas toujours habité Bénarès. J'ai aussi habité Lahore. J'ai aussi eu un voisin étrange. C'était un homme sans travail et pauvre, quoique mendiant. Dans le courant de l'année suivante, il a disparu. Quelques bonnes journées. Quand il est revenu
(wouahou à l'instant présent un délicieux tarin des aulnes becquette dans ma jardinière, étonnant tout de même, jamais vu un oiseau sur mon balcon en été : il est tout oblongue et délicieusement doré, vloufffff il s'envole)
il portait à la main droite un énorme pansement immaculément blanc et sur l'épaule gauche une lourde besace à rayures jaune orange et gris nsouligngé de traces vertes. Je n'ai écouté que mon coeur et je lui ai proposé mon aide pour alléger son quotidien. Il a éludé ma proposition d'un geste sec et nerveux et il m'a remercié d'un geste sec et nerveux en disant que sous un mois il n'en paraîtrait plus rien. Il n'avait pas menti; Au bout d'un temps il ne porte plus le pansement et sur sa peau il n'y a aucune trace, ni cicatrice, ni empreinte d'une seule blessure. Etonnant non et plus étonnant encore il ne cesse d'offrir des largesses ici et là, et encore à moi-même, comme si dans sa besace les roupies coulaient de source. 'argent coulait de source. Je m'étonne et le temps passe si bien que nous arrivons à la troisième année. Cette fois je me décide à ne pas le quitter des yeux, à l'observer sans cesse pour le suivre dès qu'il manifesterait qu'il est sur le départ. Il manifesta. Je le suivis. 

L'escalier dévalé, l'homme disparut dans la foule grouillante et colorée des saris et turbans. Heureusement grâce à son turban jaune safran, je ne le perdis pas de vue. Il prit par la campagne. Je pris par la campagne. Il marcha des heures et des jours. Je marchai des heures et des jours. Il traversa la frontière. Je traversai la frontière. Quand je compris qu'il allait s'arrêter devant le grand banian du plus réputé des ermites j'ai disparu dans un buisson. Il était temps. L'ermite apparut. Dès qu'il vit l'homme son visage s'illumina et il se précipita sur lui .... à cet instant mon voisin me demanda
Balaram puis-je vous faire confiance, ne parlez surtout pas à quiconque de ce que je vous raconte ! Donnez-moi votre parole ! Bien sûr que je promis à Chandra lal mon voisin que je n'en dirais strictement rien à personne 
Merci Balaram, vous êtes un ami
et le voisin reprit exactement l'histoire où il l'avait laissée 
Donc dès que mon voisin vit l'homme, son visage s'illumina et il tendit sa main. Pour le saluer. Que nenni. Jugez-en. Sans attendre l'ermite se pencha sur la main et porta les doigts à sa bouche. A mon grand écoeurement et bien qu'en retrait, caché dans le buisson, j'entendis les os chanter sous les dents de l'ermite. Crac crac crac croc crac, si mes yeux ne me trompaient pas, le voisin était en train de se faire manger la main.  A grandes dents, à grandes giclées de sang et c'était visible, à grand sourires : l'ermite se régalait. Toute la main disparut. Aussitôt l'ermite attrapa la besace de mon voisin et courut à grands pas vers le banian, dans lequel il disparut. Mon voisin ne partait pas. Muet, cloué au sol, il semblait  dans l'attente. Muet. 

Quand l'ermite réapparut. il portait d'une main un grand nombre de tissus et de l'autre, la traînant plus que la portant, la besace lourde et gonflée à tintinnabuler.  Pendant que mon voisin saisissait de sa seule main restante la besace et la mettait sur son épaule gauche, l'ermite déchirait le tissu en bandes et fit un bon gros pansement autour de l'absence de main, jusqu'au coude tout en parlant. 
Balaram puis-je vous faire confiance, pouvez-vous m'assurer que vous ne parlerez de rien de ce que je vous raconte ici à personne ? Je veux votre parole Balaram, donnez-la moi je vous prie. Bien sûr que je promis à Chandra lal mon voisin que je ne dirais rien de tout ce qu'il me racontait à quiconque. 
Enfin Balaram, les deux hommes échangèrent une accolade rieuse et mon voisin quitta le grand banian et son ermite réputé. 
Je restais caché quelques temps dans mon buisson. 
C'est ainsi que je vis l'ermite, torse nu et larges pantalons blancs bouffants se mettre à danser une danse qui, s'il avait fallu que je lui donne un nom, aurait pu s'appeler "la danse de la joie". Quand il eut terminé l'ermite releva les bras et redressa la tête vers le ciel. Puis il joignit ses mains au niveau de sa poitrine et pria Krishna, Vishnou, le dieu bleu, la déesse Kali et jusqu'à Mira-Baï la sainte femme. Je compris qu'il demandait aux dieux que le bras et la main redeviennent ce qu'ils étaient auparavant. Je le souhaitais aussi. Et d'un bon pas je rentrais chez moi bien décidé à quelque chose.

C'est ainsi que l'année suivante, le jour où j'entendis mon voisin dévaler l'escalier, je dévalais l'escalier à mon tour et non seulement le suivis mais le doublais. Quand il arriva, j'étais déjà parti et l'ermite, rassasié jusqu'à la satisfaction, lui apprit qu'il avait trouvé meilleur pourvoyeur de main que lui. Faut dire que je m'étais entaillé bras et main quelques jours auparavant et que j'avais saupoudré les entailles de ce fameux poivre blanc de Madagascar dont on disait tant de délices. L'ermite avait été confondu par le goût de ma chair.

"Voilà Balaram, vous comprenez maintenant pourquoi je disparais et où je vais ainsi chaque année. Cependant cela s'est passé à Lahore. Afin que mon voisin ne comprenne pas qui avait pris sa place désormais, j'eus la prudence de déménager à Bénarès."
C'est pourquoi  je vais vous redemander ce que vous savez déjà Balaram "Puis-je vous faire confiance, ne parlez surtout pas à quiconque de ce que je vous raconte ! Donnez-moi votre parole !" Bien sûr que je promis à Chandra lal mon voisin que je n'en dirais strictement rien à personne . 
Pour la troisième fois j'assurai à Chandra Lal qu'il pouvait compter sur moi, jamais je ne dirais mot à quiconque à propos de ses paroles. Mais en même temps je ne pouvais m'empêcher de penser "Quel benêt ce Chandra Lal quel benêt, je connais maintenant celui qui, l'an prochain, passera la frontière et se rendra au banian de la passe de Benny Hall.

Et Balaram, à Delhi, dans son petit pavillon, dans son jardin, dans son hamac, sous l'ombre des trois palmiers, riait encore en y pensant. Quel benêt ce Chandra Lal.

Bien sûr qu'il n'avait rien dit. Et pour sûr qu'à son tour il n'avait pas oublié de quitter les lieux. C'est ainsi qu'il était venu s'établir à Delhi. Dans un appartement et quelques fenêtres aux rideaux de bois brodé pour voir sans être vu. Ainsi installé il avait pensé à une seule chose : comment donner un autre parfum à sa chair que celui du poivre qui avait si bien su plaire à l'ermite du Grand Banian ? Une autre épice, pour sûr, mais laquelle ? S'en suivirent des jours et des jours d'entailles et de tests, les uns autant que faire se peut à la suite des autres. 
Entaille au cumin, à l'oignon, au sésame, entaille miel et vinaigre,  cardamome, entaille au persil, à l'ail, à l'oignon, entaille au gingembre, à la muscade, au sésame, entame au paprika, à tout... mais résultat jamais satisfaisant et de moins en moins pour Balaram qui voyait venir le rendez-vous à grands pas. Il s'inquiéta tant qu'il s'énerva. D'un geste nerveux, et maladroit, un jour il balaya tous les bols d'épices. Les bols, leurs poudres et ingrédients divers et variés  et les poudres se répandirent sur la table et se mélangèrent. Enervé Balaram balaya tous les ingrédients d'une main pour les jeter. ; à se mélanger. Mais les doigts de Balaram, ce faisant, se chargèrent du mélange. Par inadvertance il les porta à ses lèvres et sa langue se chargea elle, d'un étrange parfum qu'il se plut bientôt à déguster. 
Pour un peu sur l'instant il dansait comme l'ermite la danse de la joie. 
Il avait trouvé.
Peu avant le départ il s'entailla main et bras. quelques jours plus tard, il s'en alla joyeusement, direction la passe de Benny Hall, le Grand Banian, l'ermite tout vêtu de blanc. La danse de la joie par l'ermite fut si joyeuse cette fois-là que, Balaram disparu, quand Chandra Lal se présenta il déclara  : 
"Retourne chez toi, j'ai trouvé meilleur pourvoyeur que toi"

Balaram, dans son hamac, se rappelle encore la question de l'ermite quasiment enivré par le goût de l'épice "Mais que que qu'a qu'as-tu mis, quel est cet épice délicieux, comment il s'appelle ?"
La répétition des sonorités lui fit répondre n'importe quoi et c'est depuis, hasard faisant que cet épice, mélange de nombre d'autres s'appelle le curry. 

copyright Lania hi hi

C'est vrai, comme un conte et on n'en doute pas puisque Joël Robuchon le recommande par exemple dans sa Purée à la graisse d'oie.

Une purée quasi d'anniversaire. Bon appétit et très belle journée à toi Franck.
Lania